Il est tombé dedans tout petit. Il a plongé la tête la première dans les salles obscures. Le cinéma lui a permis de tromper la solitude d’une enfance parisienne où le père était loin, et tout ce qu’il a vécu par procuration face à l’écran a été pour lui une expérience hors norme.
Avant de créer une agence de marketing et de publicité dédiée au cinéma dans les années 90, Laurent Zahut a partagé ses coups de coeur musicaux sur les ondes d’une radio libre quand il était encore au lycée, été pigiste pour les pages cinéma du Nouvel Obs, attaché de presse au sein du premier multiplex parisien au Forum des Halles. Il a aussi produit des films.
Cinéphile passionné aujourd’hui installé à Londres, il n’a pas échappé au phénomène séries qui déferlent sur les plateformes de streaming, et sont entrées chez presque chacun d’entre nous par le petit écran. Regard sur ce format qui a plus que jamais la cote.
Bonjour Laurent. Peut-on rembobiner un peu et commencer par le début : votre histoire d’amour avec le cinéma ?
Une longue histoire en effet… J’ai grandi à Paris dans le 11e, je vivais seul avec ma mère. Le cinéma a été un refuge, il m’a protégé des problèmes du quotidien, il a été mon tuteur. Il y avait un cinéma de quartier juste derrière chez moi, qui n’existe plus aujourd’hui, une salle unique, à l’ancienne. J’y allais le samedi après-midi, seul ou avec des copains, j’avais 8 ans au début ! Je passais une heure et demie plongé dans le film et je croyais que c’était la vraie vie. J’ai appris plein de choses avec le cinéma. Comme tout y est possible, je me suis dit : dans la vie tout est possible. A 6 ans, à l’école, j’écrivais que je voulais être acteur, je connaissais déjà la différence entre théâtre et cinéma. Je me souviendrais toujours du chef d’œuvre « Il était une fois en Amérique » de Sergio Leone qui fut un choc fantastique.
Aujourd’hui, qu’est-ce que vous recherchez en regardant une série ?
Ce qui m’intéresse c’est l’originalité, les séries grinçantes, pas politiquement correctes, la liberté de ton. Il y a quelques séries mainstream que j’aime beaucoup, comme Ozark qui est un excellent exemple de série grand public superbement réussie. La diversité m’intéresse, les séries abordent des tas de sujets d’une manière différente. Ce qui est fabuleux, c’est qu’on choisit ce qu’on a envie de vivre, au moment où on a envie de le vivre. Vous avez envie de comédies, il y a des comédies de toutes sortes, idem pour les drames, vous avez envie de déprimer, il y a aussi tout ce qu’il faut ! Cette façon de consommer de l’audiovisuel est adaptée à chacun. Si je prends ma propre famille, on a quatre profils différents entre mes enfants, ma femme et moi, des goûts différents et nous ne regardons pas les mêmes choses.
“Les séries créent un lien nouveau entre les gens”
Justement, chacun fait son menu et la carte est très fournie. Est-ce que cette diversité est fédératrice ?
C’est un vrai sujet. Mais je pense que les gens se parlent beaucoup de leurs propres choix, ils échangent et partagent des coups de coeur. C’est devenu un sujet récurrent dans les conversations. Aujourd’hui nous sommes tous ensemble mais chacun avec soi-même, et les séries permettent aux gens de se reconnecter. C’est un lien nouveau, qui n’est pas du tout habituel pour nous. Un changement dans nos cultures, notre façon de penser.
Les séries existent depuis longtemps, mais elles se sont démultipliées et occupent désormais une place prépondérantes dans nos vies…
C’est un tsunami. Je vois le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide et pour moi ça crée du lien. On ne s’enferme pas avec les séries, au contraire. Les gens ont besoin de repères, plus qu’avant. Ce qu’ils voient dans les séries leur sert de repères, permet d’alimenter les conversations, d’argumenter.
Des repères qui pouvaient auparavant se trouver dans le cinéma ?
C’est une histoire au long cours pour que ça fasse son effet au cinéma. Les séries sont plus percutantes, et ont une action quasi-immédiate sur les gens. Au cinéma, il faut dérouler un fil. Il faut avoir vu plusieurs polars des années 50 français, plusieurs films un peu loufoques du cinéma italien par exemple, c’est une histoire qui s’inscrit dans le temps. Les séries c’est de la consommation immédiate, ça s’inscrit dans notre époque, et ça permet d’avoir une canne pour discuter, un point d’appui.
“Avant c’était le cinéma qui faisait bouger les lignes”
Faire du cinéma, c’est se poser dans la construction d’un chef d’oeuvre. Nous n’avons plus ce temps là ?
Nous pouvons l’avoir encore mais en effet le processus de création d’une série est plus rapide et il y a beaucoup de liberté de ton dans les séries, beaucoup de choses qu’on ne verra jamais nulle part, ni au cinéma ni dans une télévision classique. Avant c’était le rôle du cinéma de faire bouger les lignes. Mais ce n’est plus toujours le cas. Aujourd’hui, je m’ennuie au cinéma, l’arrivée des séries est un vent frais, un vent de liberté.
Ce nouveau format attire des réalisateurs de plus en plus nombreux. Il a toujours stimulé le 7 art, mais là c’est passé à la vitesse supérieure non ?
Oui je connais beaucoup de réalisateurs en France très attirés par les séries. Ils se servent des séries pour contourner le manque de prise de risque du cinéma, pour s’amuser et avoir un ton plus libre. S’il n’y avait pas ce phénomène série, le cinéma serait resté dans son train-train quotidien. Que ce soit les films américains ou français. Ils se disent aussi : « s’ils l’ont fait dans les séries on va pouvoir le faire dans les films ». Malgré tout le film reste le graal, le numéro 1 sur le podium, l’oeuvre.
“Les séries ne sont pas un palliatif”
D’où vient la créativité aujourd’hui en matière de série, un pays, un profil, un genre ?
Question pas évidente car ça vient de partout, et c’est ce qui est génial dans l’histoire des séries. Elles viennent de petits pays ou des USA, de réalisateurs très particuliers comme de réalisateurs mainstream. Il y a une telle demande et un tel besoin que les vannes ont été ouvertes, par les fameuses plateformes. C’est passionnant, et il y aura de l’écrémage avec le temps comme toujours, ce qui fait monter le niveau. Car pour nager au milieu des autres, il faut être meilleur. Dans une interview Fanny Herrero, la réalisatrice de « Drôle » qui cartonne en ce moment, soulignait : « j’aime la capacité des séries à nous faire découvrir de nouveaux visages ». C’est tout à fait vrai !
Pourriez-vous partager votre Top 3 en matière de série ?
Avec plaisir ! Je citerais d’abord Dissociation. Cette nouvelle série américaine, où une entreprise sépare les souvenirs personnels et professionnels de ses employés, est géniale. Ben Stiller a fait beaucoup de comédies. On le découvre ici en tant que producteur et réalisateur, dans quelque-chose de plus profond. Au-delà de l’histoire et de l’univers, il y a un immense plaisir à voir jouer les acteurs qui sont des pointures. Cette série est clivante et dérangeante : il y a des gens qui vont dire qu’elle est nulle et des gens comme moi qui vont dire l’inverse. J’adore.
Et puis Ozark où on prend un pied pas possible à rentrer dans les mésaventures des personnages, on vit tout avec eux. C’est une excellente série, bien écrite et calibrée, totalement addictive.
The young pope et The new pope a été mon plus gros coup de foudre des dernières années, réalisé par ce génie du cinéma italien Paulo Sorentino, avec Jude Law. Cette série m’a amené au-delà de ce que j’aurais imaginé, dans un monde qui n’est pas le mien et dont je n’aurais même pas trouvé la porte. C’est comme un bon bouquin qui va devenir un livre de chevet, il vous transporte ailleurs, dans une autre vie, dans des considérations inédites. Vous dépayser en vous faisant réfléchir, évoquer des sujets qu’on n’aborde pas facilement, c’est la mécanique et la base du cinéma. En plus, il y a la beauté des images. La première saison m’a totalement emporté.
Le mot de la fin ?
Les séries ne sont pas un palliatif. C’est quelque chose qui aide à vivre, à créer du lien, j’y vois beaucoup de choses intéressantes. Chez les adolescents elles jouent un rôle positif, ça les fait réfléchir, se poser des questions, ça leur ouvre des mondes. Il y a beaucoup de créativité, il faut la prendre, et en profiter.
Interview recueillie par Anne Leray